IMG_5938Depuis quelques temps, je ne consomme plus de porno. Sad ! C’est venu progressivement. D’abord la vie en couple m’a donné moins d’occasions d’être seule, tranquilou, chez moi, avec mon ordi et mon lubrifiant. Puis la maternité, et la priorité du bien-être du nouveau-né, a redirigé ma pulsion libidinale. Mes recherches Google passant de « Alt-porn lesbien berlinois » à « Erythèmes fessiers : que faire ? »  Enfin, cerise sur le gâteau de l’abstinence virtuelle, le visionnage du documentaire d’Ovidie, Pornocratie, sorti en 2017, m’a foutu une claque. Une BILF, pour être précise. Même si je connaissais un peu les rouages de la production et de la diffusion pornographiques actuelles, ce doc m’a ouvert les yeux sur le fonctionnement économique des tubes, profitant à des nerds milliardaires, et créant des conditions de travail de plus en plus dures pour les performeuses. IMG_6079Je suis quelqu’un de très influençable : je ne mange plus de McDo depuis Supersize Me, je n’achète plus de perche du Nil depuis le Cauchemar de Darwin, je ne vais plus sur YouPorn, X-Hamster, ou PornHub depuis Pornocratie. Plus grave : j’ai jeté le bébé avec l’eau du bain. À noter : j’adore cette expression, qui quand on y pense, est absolument terrible. C’est la traduction littérale, et relativement récente (début 20ème siècle), de l'anglais « to throw the baby out with the bath water ». Elle date d’une époque où on n’avait pas inventé la bonde, et l’ensemble du système d’évacuation de la baignoire et donc que concrètement on pouvait – si on le voulait- jeter un bébé avec de l’eau sale, dans les égouts. Je reprends : j’ai abandonné, en même temps que les tubes, le porno féministe, ou éthique, ou alternatif. Porno que je continue à défendre, dès que j’en ai l’occasion, lors de prises de paroles médiatiques ou publiques. Mais que je ne regarde plus.

Là, vous pouvez me répondre (dans votre tête en tout cas) : « et alors, ce n’est pas un but en soi dans la vie que de regarder du porno toutes les semaines, si ça ne te manque pas, tu t’en ballec ! » Sauf que non. Mon désintérêt pour le porno me pose deux problèmes. 1/Cela fait partie de mon travail, de journaliste sur les sexualités, de connaître un minimum ce qui se produit et ce qui se consomme dans le porn, quel qu’il soit. 2/ Je trouve cela triste, érotiquement parlant. Ce qui est triste, surtout, c’est que cette baisse de consommation de porno est, en réalité, une baisse de fréquence de masturbation. Je peux et j’aime me caresser sans support pornographique, mais mon rejet du X m’a amenée à me déconnecter de la branlette. De ce moment intime, si cool, si puissant, pendant lequel j’explore mon corps et mes fantasmes. Le porno que je regardais nourrissait, parfois, cette fantasmatique.
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Bon, on est en février, mais peu importe, je suis punk. Je prends aujourd’hui une bonne résolution 2019 : me réconcilier avec le porno. Make my porn great again ! Chaque mois, dans Brain, je vais donc chroniquer une vidéo ou un film porno. Ce sera un peu les Cahiers Sales du Cinéma. J’irai surtout chercher du porno un peu moins con que les autres, car c’est ce qui me plait, mais je tenterai de ne pas avoir l’esprit étriqué.

Ce mois-ci, je commence par un film d’Anoushka, Blow Away, diffusé sur Canal + le 2 mars prochain. Réalisatrice et scénariste française, Anoushka défend, à travers ses films et son site notasexpert.com, du porno éthique, esthétique et réaliste. Quand elle me parle, par mail, de son film, elle me dit que « c’est un gros challenge, un vrai pari ». Cela tombe bien, j’ai moi un petit challenge : celui de regarder de nouveau un film interdit aux moins de 18 ans.

Je comprends dès les premières minutes que la construction du film est en effet osée, pour un film X. On sort du triptyque habituel « rencontre-baise-tadaaam c’est fini ». Le film raconte l’histoire d’Eva et de Théo (interprétés par Mya Lorenn et Rico Simmons), un couple à l’agonie. On les voit se disputer, et entre ces scènes, ils se souviennent de leur passé, riche en expériences érotiques multiples. Même si j’admire la façon dont Anoushka intègre habillement ce méli-mélo de présent et de passé, sans pour autant me perdre, les scènes dans lesquelles le couple se fâche me « refroidissent ». Dans un film porno scénarisé, c’est la montée du désir, la tension érotique, qui m’excitent. Tout ce qui fait qu’un couple, ou plusieurs personnes, vont se retrouver, nus et désirants. Le désamour, cela ne m’émoustille pas, bien au contraire.
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Deuxième chose qui crée chez moi de la distance : la musique, très présente. C’est compliqué la musique, dans le porno, en général. Alors qu’elle devrait, comme dans un film classique, simplement habiller les scènes, elle prend souvent trop de place. Comme une mouche du coche qui agace. J’ai envie de couper le son, mais je ne le fais pas : j’aime entendre les soupirs, le frottement des peaux, les jouissances. Et Anoushka sait capter ces sons-là.

Mais venons-en au cœur du sujet :  est-ce que les scènes de sexe m’ont séduites ? Oui, à part la scène d’auto-fellation de Rico Simmons, qui m’a déconcentrée : j’ai tout d’un coup réalisé que je devais renouveler mon abonnement au yoga. Mais sinon, je les ai trouvées belles, joyeuses, et cul. Parmi celles-ci, j’ai aimé la séance de soirée shibari, le magnifique threesome dans la nature, où le sourire de Misungui m’a hypnotisée, une troublante scène de pegging entre Kay Garnellen et Misungui, une scène de sexe de groupe bucolique, et une belle orgie carnavalesque finale. Anoushka sait filmer les corps qui suent, les peaux qui rougissent, et les visages qui jouissent. Son image est léchée et son casting, des performers et performeuses aux corps vrais et sensuels, parfait.

misunguiÀ la fin (attention spoiler) le couple se réconcilie, se renouvelle, même. Je réalise alors que ce film, Blow Away, sur un couple en crise, qui a vécu des choses érotiquement fortes, qui s’en souvient, et qui tente de se retrouver, est une parabole de mon désamour pour le porno, et de ma tentative de me réconcilier avec lui. Sans le savoir, j’ai choisi, en premier film du reste de ma vie de spectatrice pornographique, le film idéal. Il est hors norme, il est engagé, il est beau, et il est souvent excitant. Je pensais avoir vécu mes dernières séances de porn, mais non. Le rideau sur l’écran va se relever.

Crédits photos : Pia Ribstein